Je discutais avec une institutrice qui me disait que le recteur de son secteur gagnait une prime pour chaque classe fermée. Je me mets à la place d’un recteur qui est motivé par l’argent (ce qui aide pour les factures), comment dois-je faire ? je fais en sorte de fermer des classes .. J’imagine que je ne peux pas le faire directement, mais je peux par exemple augmenter le seuil pour le nombre d’élèves d’une classe. Plus d’élèves par classe, avec un peu de chance, une classe va fermer, donc objectif atteint et j’obtiens ma prime. Et donc ?
L’objectif de ce recteur découle d’un objectif plus global qui est – hypothèse toujours – de diminuer les coûts de fonctionnement de l’éducation nationale. Mais quel autre objectif y’a-t-il pour équilibrer ce dernier ? car si on pousse l’objectif à l’extrême pour diminuer les coûts de fonctionnement, le plus simple c’est d’arrêter de le faire fonctionner .. Le but est différent, je l’espère … Je ne vais pas débattre de l’éducation nationale ou de ses problèmes mais ce qu’il faut retenir c’est que les objectifs doivent être des curseurs à ajuster pour arriver à un compromis, un équilibre. Dans le cas de ce recteur, on peut imaginer une évaluation de la qualité de l’éducation.
Cas d’une société de service de type SSII
Prenons le cas d’une société de service, au hasard l’informatique mais cela pourrait s’adapter à une société de services à domicile ou autre. Je suis le patron, quel est mon objectif premier ? faire du chiffre d’affaires ! Ok, je définis donc pour les équipes des objectifs consistant à générer du chiffre d’affaire. Mais si je vends moins cher que ça me coûte, je suis perdant, donc je vais créer un objectif de marge pour compenser le premier objectif. Et quid du client ? comment la relation avec le client s’insère-t-elle dans les objectifs de l’entreprise ?
Résumons :
- Générer du chiffre d’affaire
- Maintenir une marge : compense une recherche de chiffre d’affaire trop agressive ..
- Obtenir une satisfaction client : compense une recherche de marge trop agressive ..
Que l’on peut compléter par un objectif de qualité éventuellement pour faire progresser des collaborateurs sur des aspects précis (participation plus active, qualité de livrables, etc.).
Et plus généralement ? SMART oui et après ?
Je ne reviens pas sur la méthode SMART pour définir des objectifs (Spécifique, Mesurable, Ambitieux, Réaliste, Temporel) mais quels autres critères sont importants ?
Il doit y avoir des objectifs individuels et collectifs : s’ils sont uniquement collectifs, la responsabilité de les atteindre est diluée parmi les collaborateurs, s’ils sont uniquement individuels, le chacun pour soi risque de devenir contre-productif.
Les objectifs doivent être mesurables et à une fréquence régulière : rien de pire que de ne pas savoir où on en est, on peut suivre le chiffre d’affaire toutes les semaines, si on ne suit la marge que tous les 6 mois, on pilote un avion en regardant les kilomètres parcourus mais sans connaître l’altitude ! Cela favorise donc un objectif par rapport à un autre. Le système d’information doit permettre de suivre à la même fréquence les différents objectifs (voir l’article sur les données d’un système d’information).
Les objectifs à valeur qualitative (satisfaction client notamment) doivent être évalués autrement que par une simple enquête de satisfaction, par exemple sur le chiffre d’affaire généré par des évolutions (gare aux dérives comme la « course à l’avenant » *) ou d’autres projets avec ce même client / interlocuteur.
* la course à l’avenant consiste à considérer presque chaque demande du client comme une évolution du périmètre initial et à ajouter un avenant au contrat : le projet semble donc moins coûteux en phase d’appel d’offre.
Tout service doit fait l’objet d’un feedback
Penser également aux fonctions supports d’une entreprise : service informatique, administrations des ventes, RH, etc. Ils sont au service de l’opérationnel, lui sont refacturés et comme tout service il doit être évalué. Combien de services informatiques organisent une enquête de satisfaction auprès des collaborateurs dans l’entreprise ? le feedback est important, tenir compte des besoins du client encore plus, qu’il soit interne ou externe. L’un des symptômes qui montre que le service n’est pas performant, c’est quand l’opérationnel commence à prendre en charge lui même le service (achat d’un switch réseau, sourcing de CVs, …).
Pour aller plus loin, pourquoi ne pas évaluer la satisfaction des collaborateurs ? il existe des enquêtes (Great Place to Work par exemple) et même si elles ne sont pas parfaites elle peuvent donner une idée et plus que le résultat absolu, c’est la tendance qui va être pertinente. Et quid de leur manager ? ne devrait-il pas être également évalué par ses équipes ? le résultat ne devrait-il pas rentrer en ligne de compte dans ses objectifs personnels ?
Dit comme ça, il faudrait tout évaluer, c’est donc à mesurer et à adapter à chaque contexte en fonction des objectifs à atteindre. Tout en sachant qu’ils ne seront jamais parfaits …
Objectifs individuel et collectif : l’équilibre !
Petite expérience pour finir, elle est tirée du livre Au delà de la rareté et reprise par Antimanuel d’économie (voir les références à la fin de l’article) :
« Bruno Ventelou, dans un livre passionnant, propose un jeu auquel ont participé des gens très différents. Les premiers sont des élèves d’école de commerce, formatés à la concurrence et au chacun pour soi, rationnels et égoïstes, maximisant chacun sa propre utilité ; les autres, des petits gars de banlieue d’une même équipe de basket, plutôt solidaires. Disons les « Gestionnaires » contre les « basketteurs ».
Les premiers n’ont pas confiance les uns dans les autres, contrairement aux seconds. On leur fait jouer de l’argent.
Ils sont huit dans chaque équipe. On distribue à chacun 4 cartes d’un jeu de 32. A chaque tour, ils gardent deux cartes et en jettent deux dans le pot. Ils gagnent 4 euros par carte rouge conservée (chaque carte rouge a la même valeur, peu importe qu’il s’agisse du roi de coeur ou du sept de carreau), plus un euro par carte rouge dans le pot.
Soit je mets mes rouges dans le pot (je joue collectif), soit je les garde. Exemple : si j’ai deux rouges et que je les garde, j’ai gagné huit euros. Si je les ai mises dans le pot et que tout le monde fait comme moi, nous avons gagné chacun huit fois deux égale 16 euros.
Dilemme… Faut-il jouer perso ou collectif ? Le résultat est frappant. L’école de commerce joue perso. Les basketteurs jouent collectif. Et bien entendu… les basketteurs gagnent.
Mais voilà. Les tours passent et passent. Certains basketteurs commencent à jouer perso en se disant : je joue pour moi, mais comme les autres sont assez bêtes pour jouer collectif, j’empocherai les cartes que je garde en main, plus celles que les autres mettent au pot. Exemple, toujours sur une distribution deux rouges, deux noires : je garde mes deux cartes rouges (8 euros) et les autres mettent leurs cartes dans le pot (14 euros). Total pour moi : 8 plus 14 égale 22 euros ! Encore mieux que dans le cas où tout le monde joue collectif.
Hélas, la trahison a des conséquences terribles. Les autres s’en rendent compte. Que font-ils aux tours suivants ? Ils trahissent eux aussi. Et petit à petit, on se retrouve dans la situation de la concurrence. Tout se passe comme si l’idée concurrentielle, « selfishness », polluait petit à petit le jeu, jusqu’à ce qu’on se trouve dans la même situation que celle des « gestionnaires », égoïstes, rationnels, calculateurs et peu gagnants.
C’est une idée clé de l’économie contemporaine : l’anticipation rationnelle, qui débouche sur un mauvais équilibre. J’anticipe que les autres vont être égoïstes. Et les autres pensent de même. On joue donc tous égoïstes, et on perd tous. »
Quelle règle dans ce jeu de cartes permettrait d’arriver à un équilibre « intelligent » ?
NB: L’expérience semble porter à controverse (certaines tournures de phrases la rendent effectivement moins objective) donc si quelqu’un a des sources pour cette expérience du jeu de cartes, je suis preneur ! a priori, l’expérience a été réellement réalisée en 1998 avec deux équipes de huit.
En savoir plus
Une étude de cas d’un plan de rémunération variable pour voir une application concrête des objectifs d’une entreprise.
A voir également le dilemme du prisonnier sur wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier